Les écureuils de Romont

Le fameux comte Jacques avait à son service une fort belle et gente demoiselle qui s’appelait Pierrette, en souvenir, bien sûr, de l’illustre fondateur de Romont Pierre II de Savoie, le Petit Charlemagne. Cette Pierrette, simple, gaie et fort jolie, affriandait tous les garçons, non seulement roturiers comme elle, mais nobles aussi, qui la fréquentaient au grand dam des demoiselles délaissées, filles de comtes ou de barons. Elle s’amusait, et en faisait accroire à tous ces damoiseaux, car elle avait promis son cœur à Pierre, le garçon le plus leste de Romont, qui grimpait au clocher, descendait les oubliettes au bout d’une corde, et pourchassait les écureuils dans les bois.

La Cendrillon du château besognait tout le jour dans la sombre cuisine seigneuriale. Son meilleur moment était celui où elle allait au puits renouveler sa provision d’eau. Elle y trouvait toujours un beau garçon prêt à lui rendre service en tournant la roue pour elle. On disait même que le comte Jacques s’était laissé piquer au jeu de sa Cendrillon.

Mais Pierrette riait de tant d’assiduités. Mes écureuils sont bien dévoués répétait-elle. Un petit coup d’œil, et en voilà un dans la roue. Ils mettent tant d’ardeur à la tourner que je crains fort de la voir un jour s’affoler. Et il en est de tous âges, de tous plumages, de rutilants, de dorés. Mais aucun ne vaut mon Pierre, pensait-elle, car elle avait fait son choix.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Il arrivait que Pierrette s’attardait au puits, prenant un plaisir malin à voir ses écureuils s’époumoner, rivaliser d’ardeur, de force et d’énergie. Il arriva même que Madame la Comtesse surprit un jour son noble et superbe époux, le comte Jacques en train de jouer à l’écureuil, dans la roue. On devine aisément la suite : scène de ménage et menaces sur la pauvre Cendrillon dont les charmes aguichaient tant de cœurs de tous âges.

Pierrette, dit la noble Dame, ce manège doit cesser. Notre château devient une maison publique : le portillon s’ouvre à chacun ; j’en ai assez de tous ces écureuils.

Pierrette aurait fort regretté de perdre son occupation au château, au service duquel elle espérait y voir un jour son Pierre. C’est pourquoi elle décida de se déclarer, et connaissant les aptitudes de son promis, elle n’hésita pas à offrir son cœur à l’écureuil le plus habile. La proposition fut chaleureusement accueillie, et une joute d’écureuils a été prévue qui déciderait du sort de Pierrette. C’est la fameuse journée des écureuils, dont on parle encore en la cité.

Dès le matin, la roue tourna vite, vite. Le vainqueur serait celui qui mettrait la moins de temps pour descendre le sceau et le ramener plein d'eau. La victoire revint à celui que Pierrette attendait, et qui fit merveille.

Le comte Jacques fut heureux que tout s'arrangea ainsi, et invita les écureuils à tourner une dernière fois la roue, car Pierre seul, à l'avenir, serait autorisé à franchir le portillon du château. La destinée de Pierrette étant maintenant fixée, Pierre fut désigné comme portier. Le mariage eut lieu en grande liesse, et Pierrette fut heureuse.

Ainsi naquit la légende des écureuils romontois.