Par un dimanche pluvieux, les hommes de Pont-la-Ville et de La Roche étaient attablés à la taverne. Les anciens parlaient de la pluie et du beau temps, les jeunes d’autres sujets beaucoup moins sérieux. Ils disaient : «Les filles de Pont-la-Ville, de La Roche et de Treyvaux sont bien belles... mais elles ne sont que laiderons comparées à celles de l’autre côté de La Sarine.» Cependant, pour se rendre de l’autre côté à Avry-devant-Pont, il fallait traverser le passage dangereux qui s’appelait «Thusy». Un inconnu s’exclama : «Quoi ? vous n’avez pas de pont ?» et il continua : «Si j’en avais le temps, ou plutôt s’il m’en prenait fantaisie, je vous en construirais un et je vous demanderais comme salaire que le premier être qui passera sur le pont m’appartienne».

Sans réfléchir, le chef de la commune donna la main pour confirmer et sceller le marché. Si avisés, prudents et rusés à l’ordinaire, comment les Pontvillois n’avaient-ils pas reconnu le diable ?écho dans la caverne. Le sol trembla et l’animal disparut dans une énorme crevasse.

A minuit déjà, une arche du pont était entièrement terminée. Satan attendait son premier passant. Le curé du village arriva avec deux sacs. Il sortit du premier une trappe où s’affolait une souris, il en ouvrit la porte et aussitôt la prisonnière s’enfuit sur le tablier du pont. Le curé ouvrit le second sac d’où s’échappa un chat. Le diable ne fut pas assez rusé, car ce n’est pas «être» qu’il aurait dû dire mais «âme».